Wastburg s'ouvre sur une citation de China Miéville qui, fidèle à sa grande idée, exhorte à tuer le père, J.R.R. Tolkien. Fort logiquement, donc, Cédric Ferrand s'emploie dans son premier roman à nous livrer une fantasy dépourvue autant que possible de l'influence du maître anglais. La magie a presque disparu du monde qu'il nous présente. Il n'y a pas d'elfes ou de nains dans son récit, mais au contraire des humains bien trop humains. Ce sont rarement de grands hommes, que l'auteur met en scène, mais une pléiade de gens ordinaires (en tout cas pour la plupart), voire médiocres. Il ne nous raconte pas une grande épopée, mais une multitude de petits destins personnels, l'existence triviale et quotidienne de gens essayant tant bien que mal, parfois honnêtement, souvent pas, de joindre les deux bouts.

CEDRIC FERRAND - Wastburg

Les Moutons Electriques / Folio SF :: 2011 / 2013 :: acheter ce livre

Sans toujours y revenir (quelques-uns décédant en cours de route), on saute ainsi d'un personnage à l'autre. Un échevin, un prévôt et un bourgmestre ont droit à quelques pages. Le plus souvent, toutefois, ce n'est pas de notables, mais d'hommes d'arme anonymes et médiocres, dont on parle. Ou encore d'orphelins des rues, d'un écrivain public et de la famille d'un bourreau. C'est une foule d'êtres minables et pourtant attachants, dont Cédric Ferrand souligne la nature populaire en usant, avec un systématisme parfois un peu lourd, d'un vocabulaire argotique. S'inscrivant dans la lignée d'un Jean-Philippe Jaworski, à qui il a souvent été comparé, il use de mots fleuris pour retracer les parcours erratiques de ces messieurs tout-le-monde des temps médiévaux, pour évoquer la saleté, la lâcheté, la luxure, l'appât du gain, les entourloupes et l'instinct de survie qui façonnent le quotidien de ces gens.

Il y a une intrigue, pourtant, dans ce livre. A mesure que s'égrainent ces petites nouvelles, on découvre petit à petit qu'il y a un lien entre elles. Tous ces personnages sont les témoins plus ou moins directs d'événements, dont l'apothéose va transformer leur ville pour toujours. Celle-ci, Wastburg, une Cité-Etat construite sur le delta d'un fleuve qui sépare deux royaumes antagonistes et radicalement différents, est en fait l'héroïne du livre qui porte son nom. L'auteur prend un grand soin à nous décrire l'allure, la culture et l'ambiance de cet endroit abandonné par la magie, où grouille aujourd'hui toute une faune humaine interlope, et qui n'est pas sans évoquer la cité d'Ankh-Morpork imaginée par Terry Pratchett. C'est sa nature et son destin qu'il nous raconte. Comme beaucoup d'auteurs de fantasy français, Cédric Ferrand a d'abord été rôliste, et cela se ressent : il cherche à nous dépeindre un univers qui exalte l'imagination et qui soit le prétexte à une multitude d'aventures. Wastburg, d'ailleurs, est devenu depuis un véritable jeu de rôle.

Et pour le coup, avec ce roman qui bouscule les habitudes narratives de la fantasy traditionnelle (pas de longue épopée immersive mais une série d'histoires courtes, pas de hauts-faits mais une suite de crapuleries, pas de style ampoulé mais au contraire des mots crasses et vulgaires), nous sommes effectivement loin, bien loin de Tolkien. Nous sommes dans quelque chose de plus substantiellement français, sans que cela soit une tare, bien au contraire.