White Man's Justice, Black Man's Grief est l'une des œuvres importantes de Donald Goines, celui qui, à la suite d'Iceberg Slim (et dans le court laps de temps qui aura séparé ses débuts dans l'écriture de sa mort violente), aura été l'autre grand romancier du ghetto afro-américain. Ce livre qui décrit de l'intérieur le système carcéral américain est aussi, comme son titre l'indique, sa grande critique d'un système de justice biaisé, qui favorise structurellement les Blancs. Cependant, sous la plume de cet écrivain qui a vraiment connu la rue, la drogue et la prison, avec les mots de cet homme qui était assez proche des milieux criminels pour finir tué par balles, quelques mois après la parution de cet ouvrage, cette dénonciation prend une forme relativement inhabituelle.

DONALD GOINES - White Man's Justice, Black Man's Grief

Son héros, en effet, n'est pas une innocente victime broyée par un système inique. Il n'est pas non plus un nouveau Jean Valjean, un voleur repenti aux intentions. nobles Chester, le narrateur, est au contraire un vrai malfrat. Il est même un tueur. Et il est loin d'être rongé par les remords. Même enfermé entre quatre murs, il se présente en caïd de la prison, il se livre à quelques trafics, et avec son nouvel ami Willie, il prépare son mauvais coup d'après. Des innocents, on n'en croise pas beaucoup dans White Man's Justice, Black Man's Grief, à part David peut-être, qui proclame à grand cri ne pas avoir violé de femme blanche, comme on l'en accuse, qui prétend avoir été ivre mort au moment des faits, sans qu'on ne sache jamais si c'est l'exacte vérité ou non.

De toute façon, la vérité compte peu dans le système décrit par Goines. David ne convaincra pas le jury. Et bien que les faits qui lui sont reprochés sont moins graves, le juge aura la main plus lourde avec Willie qu'avec l'autre ami que Chester s'est fait en prison : Tony, un Blanc. Ce constat revient souvent le long de ce récit : les criminels sont traités différemment selon leur couleur de peau. Par l'intermédiaire de Chester, l'écrivain s'indigne plusieurs fois de cette injustice. Et pourtant, il ne se révolte pas vraiment. C'est ainsi, c'est comme ça. Si cela choque Tony le Blanc, pour ses amis noirs au contraire, c'est un état de fait, cela ne les étonne plus. Résignés, ils ont appris à s'en accomoder.

La discrimination des Noirs est un fait, c'est une donnée de base de la société, avec laquelle ces derniers doivent composer. La ségrégation est une réalité objective de tous les instants, comme on le voit au réfectoire de la prison, où Blancs et Noirs ne se mélangent pas. Pas par hostilité, non, mais juste parce que ça paraîtrait suspect et qu'on les soupçonnerait d'entretenir des relations homosexuelles. Parce que ça s'écarterait de l'ordre des choses.

Donald Goines ne dramatise pas. Il décrit le mode de fonctionnement d'une société à part, avec ses règles, ses contraintes et ses vicissitudes, mais aussi ses espoirs et ses petits bonheurs très relatifs : ceux d'écoper d'une peine moins longue que prévu ; ceux d'intégrer, après des mois dans la promiscuité miteuse d'une prison de comté, un véritable pénitencier ; ceux de s'acoquiner avec les bons prisonniers, de tisser un réseau qui ouvrira des opportunités, en cage comme au-dehors ; ceux aussi, pour certains, de renverser un temps la hiérarchie raciale en faisant de ses codétenus blancs des esclaves sexuels.

La prose de Donald Goines est sèche, elle est neutre, elle est directe. Avec lui, il ne s'agit jamais de romantiser la réalité, mais de l'exposer. Il n'y a pas de joliesse dans son style, il ne fait pas de littérature. Il n'y a même pas cette gouaille argotique qui caractérise son modèle Iceberg Slim, et qui valut à ce dernier des comparaisons à Céline. Cet écrivain-là a la même rudesse, il décrit le même univers sale, injuste et soumis à la loi du plus fort. Mais plutôt que par le style, il en rend compte à travers les actions qu'il met en scène, comme celles, fréquentes et souvent insoutenables, de viols de prisonniers.

Goines joue peu des figures de style. Il déroule son récit dans l'ordre chronologique. Il y a bel et bien quelques flashbacks, qui nous renseignent sur le passif de Chester. Sur quelques pages, les circonstances du viol dont on accuse David sont décrites. Mais ce sont les seuls moments où le récit cesse d'être linéaire. White Man's Justice, Black Man's Grief, pour l'essentiel, est un reportage. Chester n'est qu'un prétexte, une accroche. Il est là pour personnifier et pour illustrer le propos, pour donner au public afro-américain, à qui Donald Goines s'adressait en tout premier lieu, un héros valorisant auquel s'identifier : une victime certes, un homme condamné à perdre par la perversion de l'ordre social, et malgré tout doté d'une mentalité de vainqueur.

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