Porter les classiques de la fantasy à l'écran est devenu, ces dernières années, une chose commune. Encouragés par le succès grand public du genre, enhardis par le perfectionnement des effets spéciaux via les images de synthèse, ils sont de plus en plus nombreux, réalisateurs, studios, chaînes de télé, à tenter l'aventure, dont bien sûr HBO qui, depuis bientôt trois saisons, adapte les aventures de Jon Snow, Arya Stark, Tyrion Lannister et Daenerys Targaryen au petit écran, dans une série qui, d'après le titre du premier tome de la saga écrite par George R.R. Martin, a été nommée Game of Thrones.

DAVID BENIOFF & D. B. WEISS - Game of Thrones

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Souvent, le résultat de ces adaptations est frustrant. L'irrespect vis-à-vis d'œuvres souvent estimées infantiles et vues comme le simple prétexte à des scènes d'action spectaculaire, est une raison à ces échecs. L'autre tient à des contraintes spécifiques aux grands cycles de fantasy. Souvent riches en personnages et en intrigues, s'étendant en plusieurs livres sur des centaines voire des milliers de pages, ils s'accommodent mal du raccourcissement de l'intrigue nécessité par leur version filmée. Cela exige de sérieuses coupes qui font souvent fi de l'un des principaux atouts du genre : son caractère immersif.

Cependant, ce n'est pas le cas de Game of Thrones. Si cette version télé n'a évidemment pas la richesse d'A Song of Ice and Fire, la saga littéraire originale, elle n'en est pas moins une réussite. Le format série aide beaucoup, il faut dire. En adaptant chaque livre en dix épisodes de 50 minutes, la déperdition est moindre qu'elle ne l'aurait été avec un film de cinéma de 2 ou 3 heures. Comme avec le livre, nous avons le temps de nous attacher à long terme aux personnages, de s'imprégner de leur monde et de leurs passions.

L'adaptation, aussi, a été facilitée par le style narratif de George R. R. Martin. Construit en courts chapitres centrés à chaque fois sur l'un des protagonistes principaux, s'achevant par des coups de théâtres ou des scènes à suspense, ses romans se prêtaient déjà à une version filmé. L'auteur, il faut le dire, a lui-même longtemps écrit pour la télévision. Il ne s'est tourné vers la littérature que pour contourner les limites imposées à sa liberté d'auteur, mais son style est resté télévisuel. Qui plus est, contrairement à d'autres écrivains fantasy, Martin est encore vivant, et il a pu superviser la mise en images de ses livres, épargnant ainsi aux réalisateurs un procès en trahison de la part des fans.

Malgré ses raccourcis et ses personnages en moins, cette version visuelle d'A Song of Ice and Fire est, de fait, conforme à l'originale. Quant à ses quelques infidélités, elles sont toutes justifiées. Peter Dinklage, par exemple, tout nain qu'il est, est bien moins laid que Tyrion n'est censé l'être dans le livre. Mais l'acteur, qui crève l'écran, était sans doute l'homme de la situation. Même compromis pour l'âge des personnages, Robb, Jon, Daenerys et Sansa étant à peine sortis de l'enfance dans le roman, alors qu'ils sont de jeunes adultes dans le film. Mais pour la télévision, il aurait été difficile de trouver les acteurs adéquats, et quelques scènes de sexe auraient alors touché à la pédophilie…

Une autre difficulté tenait aux monologues intérieurs, nombreux dans le livre, souvent nécessaires à la compréhension de l'intrigue, et qu'il était compliqué de transcrire à l'écran. Pour accomplir cela, les réalisateurs ont toutefois usé d'une astuce : quitte à injecter dans le film plus de scènes de sexe que le livre n'en compte, ils ont multiplié les dialogues où les personnages se livrent et se confessent à des prostituées. Ainsi voit-on Viserys Targaryen raconter à l'une d'elles l'histoire de ses ancêtres et des dragons, un rôle dévolu à Tyrion dans le roman, et Littlefinger relater son duel avec Brandon Stark, pendant que deux des pensionnaires de ses bordels s'adonnent à des ébats lesbiens.

Forcément plus limité que pour un film de cinéma, le budget ne permet pas toujours de traduire sur écran le spectaculaire de certains passages. C'est ainsi que, contrairement au livre, on ne voit pas Tyrion combattre dans la guerre qui oppose les Stark aux Lannister. Et la naissance des dragons de Daeneris ne sont pas le feu d'artifice décrit par Martin. Même si la série remplit un joli quota de sexe, de combats, de têtes coupées et d'attaques de zombis, elle est relativement statique. Mais elle reste conforme à l'esprit de l'œuvre, plus tournée vers les dialogues et les intrigues politiques que vers l'action.

Car avec A Song of Ice and Fire, dès le début, même si le monde est imaginaire et qu'on y trouve un brin de fantastique, nous avions plus affaire à du roman historique qu'à de la fantasy à grand spectacle. Les livres, d'emblée, avec leurs personnages pittoresques mais profondément humains et originaux à la Tyrion, s'apparentaient davantage à des séries à succès récentes à la manière de Rome ou des Tudor qu'au Seigneur des Anneaux. Il les anticipait tout autant qu'il capturait, et la série avec lui, le meilleur des deux genres.