Le capitaine de Reixach, abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? Un de ses cousins, Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité. Aidé de Blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. Après la guerre, il finit par retrouver Corinne, la veuve du capitaine...
Ouf. Heureusement que le quatrième de couverture de l'édition de poche nous propose ce résumé. Parce que moi, personnellement, ce n'est pas ce que j'avais compris.
D'ailleurs, pour être tout à fait honnête, je n'ai même rien capté à ce fameux livre. Tout juste ai-je retenu qu'il était question d'un cheval mort, d'un jockey, de relations sexuelles avec cette fameuse Corinne, de soldats et de la débandade de 1940. Et quoi de plus normal que cette incompréhension, que cette perte de repère, puisqu'il s'agit de Nouveau Roman, et même d'un des classiques du genre.
La route des Flandres, donc, ne recourt à aucun des procédés narratifs traditionnels, c'est la loi du genre. Le récit ne suit pas l'ordre chronologique. Le narrateur est incertain. Les phrases s'étendent sur des pages entières, reformulées sans cesse avec de lourds "c'est à dire", entrecoupées de longues parenthèses, et limitant leur ponctuation à de simples virgules, voire à rien du tout, à tel point qu'il n'est humainement pas possible de les saisir dans leur intégralité.
Aujourd'hui, vous avez encore du mal à lire du Nouveau Roman. Mais plus tard, le grand public lira ceci avec la même aisance que vous lisez aujourd'hui du Zola.
Ça, ce n'est pas écrit en quatrième de couverture. C'est ce qu'avait prophétisé autrefois ma professeure de lettres, normalienne de surcroit (franchement, est-ce bien la peine de faire Normale Sup si c'est pour débiter de telles platitudes ?), devant un auditoire qui ne jurait encore, étudiants indignes et moutonniers que nous étions, génération inculte et perdue, que par le roman réaliste du XIXème siècle.
Sa déclaration était deux fois infondée. D'abord, parce que de son vivant déjà, Zola était populaire. Mais aussi, parce qu'après un demi-siècle, le Nouveau Roman, cet Oulipo sans l'humour, n'intéresse encore que les littéraires hardcore.
A vrai dire. La route des Flandres a tout de même connu un certain succès. L'ouvrage a été traduit dans de multiples langues, et il s'est écoulé à un nombre appréciable d'exemplaires. Mais bon, un peu de mauvaise foi, et l'on mettra ça sur le compte de l'aura dont jouirait encore une culture française autrefois rayonnante auprès d'un public étranger prêt à s'extasier sur le plumage plutôt que sur le ramage. Un peu comme avec Mireille Mathieu ou Patricia Kaas, le label France ferait souvent vendre n'importe quoi.
La route des Flandres reste néanmoins un bon livre. Mais selon des critères qui lui sont propres. Ceux des gens qui demandent au roman d'être une réflexion sur l'écriture, sur le langage, sur la narration. Bref, de parler de lui-même.
L'intérêt du roman le plus connu de Claude Simon est très bien expliqué (si l'on passe outre le pédantisme typiquement universitaire de son style), dans la postface de Lucien Dällenbach. Celui-ci détaille en quoi La route des Flandres est le roman de la désorientation, et comment ce style narratif qui défie l'attention du lecteur épouse le cadre de l'intrigue, la débâcle de 40, et cette énigme policière qu'est la mort de Reixach.
Cependant, pour aboutir à cela, l'auteur n'invente rien.
Nouveau Roman ? Mon œil ! Claude Simon n'ajoute rien de neuf au roman. Au contraire, il en retranche systématiquement des éléments, il suit une démarche réductionniste, son approche est régressive. Comme Dällenbach lui-même le dit, l'écrivain fait table rase. Il met de côté des procédés narratifs que la littérature a imaginés peu à peu au fil de son histoire. En somme, il ignore l'intelligence des siècles.
Le roman est le produit d'un long passé de techniques, d'astuces et de procédés patiemment tentés, éprouvés et amélioriés, dans le but de démultiplier l'impact de ces signes abscons éparpillés sur des feuilles de papier, pour convertir l'homme à cette activité non naturelle qu'est la lecture. Pour que ce qui, originellement, vient, passe et s'évanouit dans le flux de nos pensées, devienne tangible et compréhensible.
Dans La route des Flandres, Claude Simon conserve l'essentiel de ces procédés. Des images, des métaphores, des tournures éloquentes et choc, un langage évocateur, tout cela est présent. Mais il s'affranchit des contraintes chronologiques habituelles de la narration. Pour créer cette impression de confusion et de perdition, il retourne à la base. Il remonte au temps d'avant l'écriture. Il revient à la façon anarchique dont les pensées se créent et se bousculent dans nos têtes.
La route des Flandres n'a rien inventé. Le livre a régressé, au contraire, vers la technique du monologue intérieur, du stream of consciousness, que d'autres avaient utilisé avant lui, et que Claude Simon n'aura fait que systématiser. Une technique que d'autres utiliseront ensuite, dans le roman comme dans la chanson ou, pour citer un genre qui nous est cher, dans le rap, sans devoir quoi que ce soit à Simon.
Car, pour contredire la prophétie très ingénue de ma professeure de lettres, si ce Nouveau Roman-là reste une curiosité, une œuvre intéressante à défaut d'être prenante, La route des Flandres n'a mené à rien, elle n'a pas eu de postérité.
La route des Flandres est un cul-de-sac.
Je suis abasourdi par votre article. Simon fut longtemps le dernier français a avoir obtenu le prix Nobel. Et réduire son écriture à un stream of consciousness est effarant. Personnellement, je vois Simon franchement à part dans le courant dit du nouveau roman et "La route des flandres" comme une écriture à la puissance évocatrice sans égale plus qu'un monologue intérieur. La structure des scènes et le rythme visuel qui les narre est aussi rare que magnifique. Le déploiement des images est très émouvant. Et s'il est vrai que vous ne l'avez pas lu avec plaisir et que vous rejoignez ainsi un avis fort répandu, cela ne vous autorise pas à en parler comme d'un vulgaire texte surfait. Car il est évident que dans plusieurs siècles il n'aura pas été oublié, à défaut d'avoir été populaire.
Moi aussi je suis abasourdi mais par cette haine larvée et cette violence qui émane de votre article, pour le reste je suis d'accord avec la réponse précédente et ne rajouterais rien car vos arguments sont infondés et la vérité est ailleurs.
Ah si n'est pas Céline qui veut !!!!
Une réponse aux récents commentaires ci-dessus.
Tout d'abord, concernant la première remarque, je conçois qu'on trouve dans La Route des Flandres la puissance évocatrice dont il est question, qu'on apprécie, pour citer le commentaire, "la structure des scènes", "le rythme visuel", "le déploiement des images".
Cependant, l'article ne l'exclut pas, il précise au contraire : "Des images, des métaphores, des tournures éloquentes et choc, un langage évocateur, tout cela est présent". L'article met l'accent sur le fait que le livre se présente comme un immense stream of consciousness, mais il ne le réduit pas à cela, contrairement à ce qui est prétendu.
Les autres remarques me semblent moins pertinentes.
Claude Simon a eu le prix Nobel ? Et alors, ça ne l'immunise pas contre la critique. L'argument d'autorité, non merci.
"Il est évident que dans plusieurs siècles il n'aura pas été oublié" ? Bah nan, c'est pas évident. Ni vous ni moi ne sommes Madame Soleil.
Quant à Céline, personne n'a voulu marcher sur ses pas ici, merci. C'est vrai que ce texte est écrit sur le ton de la provocation, mais Céline n'en a jamais eu le monopole que je sache.
Ne trouvez vous pas que cette oeuvre joue avec une certaine pédanterie et un hermétisme assumé? Pour ma part j'adore la littérature et sans critiquer celle ci, malgré ma volonté de chercher à la comprendre, j'ai l'impression qu'elle alimente l'élitisme.
J'adore !!!!!!!!!!
"50 ans après, le Nouveau Roman, cet Oulipo sans l'humour, n'intéresse toujours que les littéraires hardcore." : exactement (à cela près que je n'y vois pas le génie de l'oulipo)
Pourquoi dit-on "Nouveau Roman"? C'est cela qu'il apporte? S'il faut considérer La Route des Flandres pour livrer le Prix Nobel, il est plutôt préférable de dire "Mauvais Roman" pour que, peut-être les autres tiennent compte de son écriture et ne pas emprisonner le lecteur dans une incompréhension sans fin.
Dire que le livre régresse sous la plume de Simon n'a rien à voir avec du mépris ou de la haine. C'est consciemment que C. Simon revient au marais primordial. C'est ce qu'on appelle un retour aux sources. Un auteur qui séduit (ou non) par son caractère primitif.
Reste que la Route des Flandres n'a pour l'instant aucun descendant.
Si on peut apprécier l'expérience, je ne vois pas en quoi on peut parler d'un roman magnifique ou émouvant...
Personnellement, je trouve que La Route c'est un peu comme sortir les poubelles: il faut bien que quelqu'un le fasse, et on ne sort pas les poubelles pour le plaisir. Si on lit La Route, c'est pour obtenir quelque chose, pas pour se divertir ou s'amuser.
Moi j'abonderai dans ton sens pour une seule et bonne raison : le bouquin était cette année au programme de l'ENS et comme tu le dis, on peut pas lire ce livre par plaisir (sauf quand on est prof en khagne justement...et encore !), mais contraint et forcé : ici en l'occurrence par un concours exigeant qui demande une connaissance quasi parfaite de l'oeuvre...
Alors pour avoir passé une partie de l'année à tenter de débroussailler cet amas d'historiettes chiant à en crever, je ne peux qu'approuver ton impression générale...Tout en gardant le recul nécessaire pour apprécier la démarche de CS, qui est juste menée de manière totalement illisible.
Mais c'est sûr que quand on a pas à préparer en 1h des explications de texte CONTEXTUALISÉES (c'est bien ça la difficulté de ce putain de roman), on doit sans doute en apprécier un peu plus les attraits...Et limiter le dégoût suscité par la lecture.
Quelle haine, transparaissant dans les lignes de cet article! Dommage! Un peu de modération n'aurait pas coûté grand chose ;-)
On aime ou on n'aime pas, bien évidemment. Mais on peut faire de la critique constructive!
Il est vrai que j'ai eu du mal à me plonger dedans, mais une fois qu'on arrive (encore faut-il y arriver, je vous l'accorde) à ne plus attendre le point, la virgule, ou la fermeture de la parenthèse, on accède à un univers mental pictural et musical qui mime le processus de remémoration de façon plutôt surprenante et novatrice justement. Car quand on se souvient de quelque chose, c'est dans le désordre, de façon presque simultanée, et par associations d'idées... Le but de Simon était de recréer cela par l'écriture. Cela a le mérite d'être une belle entreprise!
Alors certes, ça rend le roman difficile d'accès et certes cela peut en rebuter plus d'un. Ne nous inquiétons pas de l'hermétisme ou de l'élitisme de ce roman, la littérature, la TV et internet sont plein de culture très accessible à tout le monde. Il n'empêche qu'il suscite des passages très émouvants, bien plus émouvants que s'ils avaient été écrits avec une écriture 'chronologique" et intelligible, "classique".
On aime ou on n'aime pas, mais respectons le travail de l'écrivain, et les lecteurs qui l'apprécient! :-)
La critique est très virulente (pas haineuse), mais elle est constructive. Et elle ne nie pas que certaines personnes pourront y trouver leur compte, cf. l'extrait ci-dessous :
"Reste que La Route des Flandres est un bon livre. Mais selon des critères particuliers, qui sont ceux d'une minorité. Celle des gens qui demandent au roman d'être une réflexion sur l'écriture, sur le langage. Bref, sur lui-même."
Ca a le mérite d'être une belle entreprise, certes, mais c'est aussi précisément là le problème. La Route des Flandres est comme l'enfer : elle est pavée de bonnes intentions.