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Ultima ratio regum, Louis XIV inscrivait-il sur ses canons. Le dernier argument des rois. Abercrombie ne pouvait pas choisir meilleure devise pour intituler le dernier tome de sa trilogie. Tout d'abord, parce que des canons, on en entend beaucoup dedans. Et pas que. Des épées, des flèches, des lances et des charges de cavalerie, aussi. Comme le veut la loi du genre, The First Law termine en apothéose, dans un déchainement apocalyptique de batailles et de pouvoirs magiques, dans un fracas de mort et destruction.

La série est connue pour l'excellence de ses dialogues, mais l'action n'est jamais en reste non plus. En la matière, la palme revient à la seconde partie, dont les deux tiers à peu près, 200 pages, sont consacrés à la confrontation finale entre l'Union et les Gurkish, présentée de manière prenante et haletante à travers les yeux des six personnages principaux de la trilogie, tous plongés corps et âmes dans la fureur anarchique des combats.

Abercrombie a beau être un auteur iconoclaste, un game changer de la fantasy, avec ses personnages atypiques, son sens de la psychologie et son humour, il en respecte les règles et les poncifs. Magiciens surpuissants, pouvoirs occultes, combats à l'arme blanche, luttes cataclysmiques, créature revenue d'entre les morts, héros devenu roi à la force du poing, etc. : le Britannique ne refuse rien de cela dans The First Law. Et dans son dernier volet moins que jamais. S'il innove ici, c'est en fait avec le finale, avec la conclusion.

Cette fin en effet, est amère. Certes, cela n'a rien de neuf en fantasy. Le genre est rempli de ce type de dénouements. Souvent, le héros vainqueur se lamente d'avoir perdu des êtres chers, il souffre du prix que lui a coûté son triomphe. D'autres fois, façon Seigneur des Anneaux, le livre se clôt dans la nostalgie, dans le regret d'une innocence perdue, dans l'adieu au monde merveilleux de jadis. Il y a un peu de ces deux types d'amertume dans Last Argument of Kings, mais il y a aussi bien davantage. Ici, non seulement la victoire, car victoire il y a, se révèle coûteuse. Elle se montre aussi terriblement décevante.

Le volume précédent de la série, Before They Are Hanged, entretenait l'espoir. Via ses personnages les plus sages, l'auteur dénonçait l'égoïsme comme un sentiment improductif. Il nous disait que l'homme pouvait s'améliorer : des hommes vains ou sanguinaires s'amendaient, ils cherchaient à devenir meilleurs. Progressivement, des liens se tissaient au sein d'une troupe où ne dominaient au début qu'hostilité, rancœur et suspicion. Avec Last Argument of Kings, cependant, tout cet optimisme est jeté bas.

Les héros ont gagné, la victoire est bien là, sans contestation. Et pourtant, ils se retrouvent tous au même point qu'avant la bataille. La plupart ont monté en grade, ils ont pris la place de quelques autres, morts et disparus dans la tourmente des événements. Mais ils souffrent des mêmes états d'âme, des mêmes douleurs, des mêmes affres qu'au début. Abercrombie le souligne en terminant le livre comme il l'avait commencé. Les deux derniers chapitres, en effet, répètent peu ou prou les scènes mises en scène dans les deux premiers, deux livres plus tôt : avec une ancienne victime devenue un bourreau, un homme torturé changé en tortionnaire ; puis avec un autre personnage, qui avait entrepris de devenir meilleur, et qui ne sème encore autour de lui que la violence et le chaos.

Beaucoup d'œuvres de fantasy ne s'intéressent qu'à la victoire en elle-même, à son déroulé, à ses conditions et aux sacrifices qu'elle requiert. Souvent, l'intrigue prend fin avec l'apothéose du succès, avec la promesse de lendemains qui chantent. Mais Abercrombie, lui, ne s'en contente pas. Consacrant encore une centaine de pages aux conséquences du conflit qui a failli emporter l'Union, il se penche également sur l'après, montrant que rien n'a vraiment été gagné à l'issue de la bataille dantesque par laquelle sa série se termine. Nombreux sont les morts, beaucoup a été détruit, les survivants croulent le poids de nouvelles responsabilités. Et les maux, les personnes et les intérêts à l'origine de la confrontation demeurent, susceptibles de tout faire redémarrer un jour.

La victoire finale n'en est pas vraiment une. Le lecteur le comprend, à mesure que les diverses intrigues de la saga se démèlent, et que se dévoilent les enjeux qui ont été les moteurs de l'histoire. Dans le premier livre, rien n'était clair, on ne savait rien des tenants et des aboutissants des aventures traversées par les uns et les autres. Dans le second, au contraire, on commençait à comprendre, constatant que s'affrontaient deux camps, celui du magicien Bayaz, rempart de la civilisation, et celui du prophète Khalul, un homme qui avait bravé les interdits pour satisfaire son envie de pouvoir. Dans l'ultime volume, cependant, plus rien n'est évident, il n'y a plus de bons ni de méchants, mais deux camps aux torts partagés, victimes des égoïsmes et des appétits d'hommes manipulateurs et mégalomaniaques. Des hommes prêts à user du dernier argument des rois.

Et c'est là la seconde raison pour laquelle le titre du dernier livre de la trilogie The First Law est si bien choisi. Il résume au mieux la morale finale de l'histoire qui, déprimante, nous rappelle que la raison du plus fort est toujours la meilleure. Que l'histoire tresse toujours des lauriers aux vainqueurs, et à eux uniquement. Que la fin justifie tous les moyens, toutes les transgressions. Qu'il n'y a d'autre loi au monde que celle de la nécessité.

He took a long breath of the cold, wet air, and he frowned down at the earth over Grim's grave. He wondered if he'd know a good man from an evil, any more. He wondered what the difference was (p. 634).

Bayaz narrowed his eyes. 'Government is tyranny. At its best, it is dressed in pretty colours' (p. 628).