TOR Fantasy / J'ai Lu :: 1990 / 2006
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Une rupture, aussi, apparait avec cet autre livre : pour la première fois, le narrateur n'est plus Croaker, le médecin et capitaine des mercenaires. Il est donné pour mort, et c'est Lady, sa compagne, qui relate l'histoire. Celle-ci avait déjà une particularité : elle avait été la méchante des premières aventures contées par Glen Cook, puis avait fini par intégrer cette Black Company qui avait été tour à tour son supplétif, son ennemie et son alliée de circonstance. Cette fois, elle cherche à en prendre la tête. Elle rebâtit son armée, en même temps qu'elle se construit sa légitimité de chef, auprès de partenaires et d'adversaires issus d'une société fondamentalement machiste.

Nous savions déjà qui était Lady : une femme de pouvoir passionnée, en fait plutôt bien intentionnée, mais pour laquelle la fin justifie les moyens, prête à tout pour renforcer sa puissance et mener la politique qu'elle estime la meilleure. Mais cette fois, parce qu'elle est le personnage central de cette nouvelle histoire, et parce qu'elle tient la plume, on la découvre de l'intérieur. On comprend sa pensée, on en apprend plus sur ses méthodes. De telle manière que The Black Company nous donne, comme jamais auparavant, de vraies leçons de politique. Le livre devient un Prince de Machiavel, en version romancée, où l'on voit Lady ne reculer devant aucun expédient pour parvenir à ses fins : alliance dangereuse avec une secte malsaine ; propagande et intox ; fidélités achetées dans le sang ; massacre en règle de ses opposants.

On connaît l'influence immense qu'a eue The Black Company sur quelques unes des œuvres phares de la fantasy moderne. L'héritier le plus évident est Steven Erikson, qui a reconnu à plusieurs reprises ce qu'il devait à Glen Cook, et dont la série The Malazan Book of the Fallen met elle aussi en scène une compagnie militaire aux motivations troubles. Mais ici, c'est très clairement à la plus célèbre des sagas fantasy récentes, soit à la Song of Ice and Fire (alias Game of Thrones) de George R. R. Martin, que l'on pense, pour ce tour très politique, et pour sa vision abrupte de ce qu'est une bonne gouvernance.

Dreams of Steel, cependant, n'est pas fait que de considérations politiques. Ce livre poursuit aussi avec éclat ce qu'avait entrepris le précédent : une enquête sur les origines obscures de la Black Company. Très rapidement dans l'ouvrage, on en apprend un peu plus à ce sujet, et ces révélations sont glaçantes. Ce qui n'était qu'esquissé dans Shadow Games (à savoir que la Compagnie n'est pas née avec les meilleures intentions), est confirmé pleinement. Ces révélations sont toutefois suffisamment incomplètes pour maintenir le suspense, et laisser le lecteur en haleine jusqu'aux prochains tomes de la saga, ceux de la série de la Pierre Scintillante (Glittering Stone).

Ce roman ne vaut pas que pour son apport à la saga en général. Comme ceux de la première série, celle des Livres du Nord, il propose une histoire en soi, qui pourrait quasiment s'apprécier sans rien lire avoir lu d'autre de Glen Cook. Elle met en scène une intrigue, une énigme liée aux motifs de la secte avec laquelle Lady s'est acoquinée, et qui ne s'éclaircit qu'en toute fin, de manière saisissante, au terme d'une narration rondement menée par l'auteur.

Bref, tout est bien dans Dreams of Steel, l'un des meilleurs volumes de l'une des œuvres les plus capitales de l'histoire de la fantasy, tant pour ses qualités propres que pour son héritage considérable et sa postérité impressionnante.