TOR Fantasy / J'ai Lu :: 1989 / 2006
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On retrouvait dans cette nouvelle série cet effacement du manichéisme qui a été l'une des contributions de Glen Cook à l'histoire de la fantasy. Il n'y avait toujours aucun camp du Bien, aucune certitude sur le bon parti à choisir. Les héros de l'aventure n'étaient eux-mêmes pas des saints, et pour eux, la fin pouvait justifier les moyens. Le terme de cette nouvelle aventure (attention, cet article contient des spoilers) voyait d'ailleurs le très sensible et humaniste Croaker revêtir, au sens comme au figuré, les habits de dictateur. Une fois encore, l'auteur s'amusait à renverser la perspective, à bousculer les routines.

Alors qu'habituellement, en fantasy, les batailles finales s'annoncent mal pour les héros, avant qu'un spectaculaire retournement de situation n'apporte la victoire, Shadow Games fait le contraire. Certes, la situation semble désespérée, quand Croaker mène une Black Company reconstituée, vers une bataille périlleuse contre de grandes armées menées par de puissants sorciers. Mais très vite, cette campagne devient presque en promenade de santé. Les mercenaires et leurs supplétifs remportent victoire sur victoire, avant qu'un dernier tournant n'apporte une fin brutale à leur succès.

On retrouve ici les qualités de Glen Cook, celles mentionnées plus haut, ainsi que sa capacité à prendre le lecteur à rebours, son style clair et droit au but, son humour pince-sans-rire, voire un certain talent pour le comique de situation. Mais on y retrouve aussi ses défauts, par exemple cette fâcheuse manie de recourir de façon immodérée à un vieux stéréotype des romans populaires : la réapparition spectaculaire de personnages donnés pour morts.

Sur de nombreux plans, donc, Glen Cook restait le même. Mais tout de même, quatre années avaient passé, et cela se sentait. La saga, déjà, avait changé de nature. Elle avait suivi l'évolution naturelle de nombreuses œuvres de fantasy, quand elles se prolongent sur plusieurs tomes : alors que les premiers livres avaient raconté des aventures et des péripéties limitées dans l'espace et le temps, celui-ci poussait les murs et révélait un terrain de jeu plus grand. Il se déroulait à une échelle presque planétaire. Et surtout, il remontait dans le temps : il ne s'agissait plus seulement de relater des histoires, mais de raconter l'Histoire. Celle, justement, de la Black Company.

Le grand voyage entrepris par Croaker, en effet, est une longue expédition dans le passé de la Compagnie. Celui-ci, annaliste, historien, souhaite boucler la boucle. Il veut revenir au lieu des origines, et retracer l'épopée oubliée de son armée. Le début du livre, donc, son moment le plus prenant (la fin se consacrant à une suite plus anodine d'escarmouches et de batailles), est, en même temps qu'un long voyage, une histoire à rebours de la Black Company. A mesure qu'elle se rapproche de Khatovar, elle redécouvre, par bribes, un passé glorieux oublié, mais dont les locaux, eux, semblent se souvenir.

Avec ces nouvelles aventures dans le Sud, l'odyssée de la Black Company passe au format grand écran. Elle change de dimension, elle prend une autre ampleur, elle devient plus épique. Ce qu'elle gagne en souffle, cependant, elle le perd un peu en originalité : l'histoire, en effet, est moins une description de la vie militaire qu'elle l'était avec la série d'avant, et plus particulièrement avec son premier volume. C'est moins, comme on l'avait dit, une histoire de frères d'armes, qu'on aurait presque pu transplanter en 1944 ou dans la guerre du Vietnam, mais, un petit peu plus, une saga de fantasy presque normale.