Eh bien non, en fait. Ce ne le fait pas. La trilogie The Unhewn Throne a eu ses moments, dans son premier volet tout du moins. Malgré son intrigue atrocement banale (pourchassés, les trois héritiers dispersés d'un empereur assassiné développent des capacités spéciales, qui leur permettront de contrecarrer un complot d'échelle mondiale), une violence et une noirceur de saison parvenaient quelquefois à capter l'attention. Mais après un second tome médiocre, son ultime volume confirme que cette saga avait peu d'intérêt.

BRIAN STAVELEY - The Last Mortal Bond

Passons encore sur les défauts habituels au genre : le déroulé cousu de fil blanc, avec pour les trois héros des pérégrinations à l'échelle continentale qui n'apportent pas grand-chose à l'intrigue, et une confrontation finale dantesque mais linéaire, où chaque héros vient jouer sa partition pour défaire le vilain de l'histoire ; la longueur déraisonnable, atteinte à travers des dialogues longuets, prévisibles et inutiles, et des monologues intérieurs d'une platitude absolue.

Ce sont les tares habituelles à cette littérature d'évasion, dont le but est de plonger le lecteur pendant de longues heures dans un monde imaginaire. Mais Staveley n'est ni Jordan, ni Sanderson. Il n'a pas les qualités qui compensent l'aspect parfois longuet et fastidieux des livres de ces auteurs. Il n'a pas le mérite d'être un grand metteur en scène, ni d'être un world builder, ni de conférer à ses héros une personnalité attachante. Les siens, au contraire, sont risibles.

Valyn, le guerrier sacrifié de la fratrie, devient un berserk soupe-au-lait indestructible, dont le seul rôle est de décimer des armées à tour de bras. Quant aux femmes de l'histoire, évidemment jolies et désirables, elles sont tout aussi caricaturales. La captive Triste est hystérique et lunatique, tout comme Adare. Censée être la fine politique de la famille (Sansa Stark, Corinn Akaran, ou êtes-vous ?), cette dernière se montre passablement sujette aux mouvements d'humeur.

Staveley introduit des divinités dans son histoire, mais celles-ci, notamment Meshkent le dieu de la douleur, ressemblent à des gamins criards et capricieux. Le grand méchant de l'histoire, Ran il Tornja (qui n'apparaît presque pas dans le livre...), est censé être le représentant d'une race ancienne suprêmement intelligente. Mais il tend un piège ridicule et prévisible aux héros, au terme duquel il se fait rétamer comme un malpropre. Ah certes, au moment de sa mort, il laisse entendre à ses adversaires qu'il y avait un programme supérieur que les misérables humains qu'ils sont seraient bien incapables de comprendre. Mais le souci, c'est que le lecteur ne sait lui-même jamais rien de ce soi-disant programme supérieur. Et l'auteur lui non plus, sans doute.

Quant aux personnages secondaires, ils n'apportent rien à l'intrigue. L'un des héros, Kaden, fait sortir de prison son vieux maître Rampuri Tan, mais ce dernier passe ses quelques pages de liberté à faire un caca nerveux, avant de se faire liquider promptement et piteusement. Kiel, l'autre survivant de la race antique des Csestriim, disparait quasiment de l'intrigue. Et quand il y apparait, sa présence ne sert presque à rien. Tout est comme si Staveley n'avait jamais ficelé son intrigue, qu'il y avait introduit plusieurs personnages, sans être clair à l'avance sur leur part dans l'histoire.

A l'origine, l'arrière-plan politique laissait place à quelques espoirs sur le sérieux de la trilogie, mais ceux-ci sont sévèrement douchés. Staveley, c'est de la nigauderie à la Trump en fait. La République mise en place par Kaden devient vite un repaire d'opportunistes incapables de prendre une décision. La solution est donc le retour de l'Empire, et le despotisme (mal) éclairé d'Adare, seule personne en mesure de prendre les décisions énergiques qui s'imposent. Bonjour les fachos.

Par ailleurs, la manière dont cette dernière prend le pouvoir est incompréhensible, compte-tenu de l'accueil hostile que lui réserve la population, à son retour dans la capitale. Elle s'acoquine avec des fanatiques et les voyous des bas-fonds, et hop, la voilà cheffe de guerre, et elle est intronisée "grand empereur" (elle porte le titre masculin) en fin de livre. C'est un peu court, et c'est idéologiquement problématique.

Il ne reste de The Last Mortal Bond, et de The Unhewn Throne plus globalement, qu'un vague motif d'intérêt : son thème, sa problématique, une longue réflexion sur ce qui définit la nature humaine. Est-ce l'intelligence, est-ce la rationalité, celle qui caractérise les Csestriim ? Ou sont-ce ces émotions qui nous asservissent, sont-ce les joies et les peines qui nous aveuglent et qui nous enchainent, mais qui rendent nos existences dignes d'être vécues ? Telle est la grande question qui taraude Kaden, celui qui devait succéder à l'empereur, le plus mystique de la fratrie. Telle est ce qu'il doit déterminer pendant sa propre traversée du désert.

A part cela, circulez, il n'y a pas grand-chose à voir dans ce livre pas franchement fameux. Dommage qu'il ait fallu se coltiner 900 pages supplémentaires pour pouvoir le confirmer pleinement. Mais au moins, on s'est fait mal pour vous.

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